1er février 2010

SNES NATIONAL - Actualités

« Réforme du Lycée : il est encore temps »

« Réforme du Lycée : il est encore temps »



Tribune de Roland HUBERT (SNES-FSU) et Massira BARADJI (FIDL). Titre initial : « Réforme du Lycée : il est encore temps ».
Tribune publiée dans Le Monde du 02 février 2010.


« Gâchis et colère sont les premiers mots qui viennent à l’esprit des acteurs de l’éducation quand ils découvrent la réalité du projet de Luc Chatel de "réforme du lycée". Gâchis quand ils mettent le projet en relation avec leur investissement depuis deux ans dans le débat sur cette réforme. Colère à la découverte d’un lycée uniquement pensé et organisé pour la seule moitié d’une génération jugée a priori capable de faire des études supérieures.

La communauté éducative portait la volonté de construire un lycée plus démocratique, qui scolarise plus de jeunes qu’aujourd’hui et qui définit une véritable culture commune capable de transcender les différences de pratiques culturelles et de rapports aux savoirs académiques. Nous avons vainement attendu la réflexion sur cette culture et les moyens d’y faire entrer tous les jeunes, quelle que soit leur origine. Au lieu de partir des verrous à faire sauter, le ministère a enfermé le débat dans un simulacre de discussion technique portant sur de petites stratégies à mettre en oeuvre pour déjouer, à la marge, les actuels biais sociaux qui sont simplement institutionnalisés.

Le ministre a habillé son projet d’un vocabulaire séduisant (accompagnement personnalisé, alternatives au redoublement de la classe de seconde...) et certains ont accepté de s’y laisser prendre, au risque de porter une lourde responsabilité dans la mise en place d’une réforme destructrice. Nous aurions aimé croire que la réalité correspondrait aux intentions affichées, mais nous connaissons le poids de l’application aveugle du principe du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite conjugué avec celui de l’autonomie des établissements. De fait, le ministre a choisi une réforme profonde du système éducatif en jouant la partition de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et du modèle anglo-saxon, dont on ne peut pas dire qu’il ait fait ses preuves en termes de lutte contre les inégalités.

Ainsi, l’accompagnement personnalisé est-il un leurre, voire une supercherie. Sa définition, multiforme, est probablement opérationnelle pour les élèves qui n’éprouvent que peu de difficultés ! Pour les autres, ceux dont l’horaire serait diminué de deux heures hebdomadaires d’enseignement et qui voient disparaître l’actuelle aide individualisée, le compte n’y sera pas : l’accompagnement est conçu autour de la répétition et du mythe de la motivation par la seule connaissance des débouchés. Rien sur les véritables leviers pédagogiques et didactiques qui participent à la construction de l’estime de soi indispensable à la réussite et à l’émergence d’une réelle ambition. Rien sur les conditions de leur mise en oeuvre... renvoyée à la responsabilité locale du chef d’établissement et de son conseil pédagogique nommé par lui et chargé de gérer la pénurie. Rien sur l’encadrement du temps en dehors du cours, dont on sait pourtant qu’il est facteur d’inégalités... Ainsi, le rééquilibrage affiché des séries générales n’interroge-t-il pas les raisons profondes de l’actuelle hiérarchie et la suppression de l’obligation de disciplines (l’histoire-géographie en terminale S ou les mathématiques en L) ne suffira pas pour détricoter les usages sociaux du système. Il ne suffit pas de « donner à voir » en seconde, à travers des enseignements d’exploration sans réels contenus, pour susciter des vocations scientifiques ou littéraires.

Ainsi, la voie technologique, dont la composition sociale est la seule qui soit à peu près à l’image de celle de la société, est-elle réaffirmée, mais son accrochage en seconde est sacrifié dans la définition des enseignements d’exploration technologique. Les premiers éléments sur la réforme des séries industrielles indiquent une dénaturation des disciplines technologiques qui en sont le fondement et le vecteur de réussite des élèves. Pourtant, l’originalité de cette voie dans l’équilibre entre temps de cours et travail personnel, sa spécificité dans les approches pédagogiques et l’entrée dans l’activité scolaire auraient dû servir d’alternative au dogme de la réduction du temps scolaire prôné par Bercy.

Au lieu d’imposer une réforme contre les personnels, au lieu de prendre le risque de la déconvenue à court terme pour les lycéens, Luc Chatel doit prendre le risque du vrai débat, du dialogue et de la confiance, mais aussi celui de l’audace budgétaire ! Il y a urgence. »

Roland Hubert est cosecrétaire général du SNES-FSU, première organisation représentative des enseignants du secondaire ;

Massira Baradji est porte-parole de la Fédération indépendante et démocratique des lycéens (FIDL).

Cet article est repris du site http://www.snes.edu/La-reforme-du-l...